94% des cadres jugeaient important d’exercer un métier porteur de sens fin 2020 selon l’APEC. 92% des répondants sont en quête de sens selon une étude de la Chaire Impact Positif d’Audencia en décembre 2021. L’entreprise détient les clés pour offrir au collaborateur un environnement favorable. Attirer, fidéliser les talents et conjuguer bien-être et performance en sont ainsi des finalités. L’entreprise à mission, le job crafting, la formation dans le cadre de reconversions professionnelles en interne, la reconnaissance du travail bien fait, les espaces de discussion virtuels, les leviers opérationnels : vous découvrirez dans cet article des leviers organisationnels et managériaux favorisant le sens au travail.
Il ne s’agit pas d’additionner des caractéristiques du travail ou d’activités professionnelles pour définir le sens au travail. Appréhender le sens au travail nécessite de prendre en compte un équilibre « d’éléments cognitifs, de finalités individuelles et collectives et d’affects » (Garreau).
Le contexte influence la perception du travail et le rapport des individus avec celui-ci. Des relations entre le sens au travail et la culture de l’entreprise, les missions quotidiennes, les styles de management, les pratiques RH sont par exemple soulignés par les travaux de Bianchi.
Les entreprises à mission visent à donner une direction, un sens à l’action collective. Afin de conduire les collaborateurs à participer à un projet porteur de sens, de nombreux dirigeants optent pour un passage à l’entreprise à mission. L’entreprise à mission a été introduite par la loi PACTE. Les statuts de l’entreprise précisent une raison d’être, un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que l’entreprise se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.
Aucune corrélation n’est démontrée entre la formulation d’une mission et l’engagement au travail dans les différentes recherches scientifiques.
Certains éléments permettent toutefois aux collaborateurs d’intérioriser la mission de l’entreprise. Ils facilitent la construction de sens (Carton) :
1. La mission est inspirante
2. La mission est traduite dans les tâches du quotidien
3. La mission est déclinée dans les objectifs à atteindre quel que soit le métier de l’entreprise
Les comportements des différentes lignes managériales traduisent avec exemplarité les valeurs. Des certifications par des organismes extérieurs, des chartes internes, divers dispositifs organisationnels et managériaux garantissent la cohérence de valeurs et comportements.
Le job crafting consiste à laisser les collaborateurs redéfinir et re-imaginer le design de leur travail afin que soient conjugués envies et potentiel. Le job crafting permet de combiner bien-être et performance selon Marc Ohana, chercheur en sciences de gestion.
1. Une redéfinition du travail relative aux tâches : les collaborateurs choisissent les tâches additionnelles qu’ils souhaitent réaliser ou encore passent plus de temps sur certaines tâches réalisées.
2. Une redéfinition du travail relative aux relations de travail : développer des relations avec des pairs, des parties prenantes de l’entreprise, apporter soutien, entraide.
Les comportements de leadership associés à de telles pratiques sont éloignés du management descendant. Un leadership habilitant est démontré au quotidien : développement de l’autonomie, élimination des irritants, démonstration d’exemplarité et de confiance, favorisation de l’apprentissage.
Le job crafting impliquant les collaborateurs dans la définition et le design de leurs propres missions, est un levier intéressant de construction de sens et de développement de l’engagement.
Une grande entreprise française engagée dans un plan de transformation et confrontée à une mutation de certains métiers a déployé un dispositif de formation à des fins de reconversion interne. Chaque année depuis 2016, une promotion de 15 salariés non-cadres de cette entreprise sont formés et obtiennent un diplôme ou une certification dans un centre de formation partenaire de l’entreprise.
C’est un réel partenariat entreprise / collaborateur fondé sur le principe de l’alternance. Le contrat moral entre l’entreprise et le salarié qui va poursuivre la formation est explicite et communiqué ouvertement : le salarié qui obtient son diplôme, sa certification, est recruté au sein de l’équipe qui l’a accueilli.
Plusieurs pratiques de l’entreprise ont fait sens chez les collaborateurs d’après l’étude de ces reconversions internes (Grimand et al.2021). Les collaborateurs se sont engagés volontairement dans une formation sécurisée à des fins de reconversion interne :
Deux éléments majeurs ont ainsi fait sens pour les apprenants durant la période de formation et expliquent en partie la réussite du dispositif mis en place :
Un travail peut être jugé satisfaisant par la hiérarchie et perdre de son sens pour le collaborateur qui le réalise. Chaque individu tend à rechercher un travail qui tient compte de « ce qui se fait, ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne fait plus, ce qu’on cherche à faire sans y parvenir, ce qu’on aurait voulu ou pu faire, ce qu’on pense pouvoir faire ailleurs, ce qu’on fait pour ne pas faire ce qui est à faire. ».
Favoriser les partages entre la hiérarchie et les collaborateurs de ce qu’est un travail bien fait, « parler des petites choses du quotidien qui empêchent la qualité, partager les définitions individuelles et collectives de la qualité, de la performance limite la perte de sens » selon le psychologue du travail Yves Clot.
Yves Clot met en évidence dans ses travaux que l’aspiration au travail bien fait chez le collaborateur peut parfois entrer en conflit avec les indicateurs de performance retenus par l’entreprise.
Pour exemples, dans le secteur hospitalier en France, les indicateurs administratifs rendent incohérente l’appréciation de l’activité de soin des professionnels de santé ce qui peut largement conduire à une perte de sens de l’activité. Il convient donc de considérer des cohérences entre les indicateurs de performance définis et la perception du travail bien fait.
Dans un contexte de télétravail, les encadrants peuvent insuffler une dynamique et donner du sens au travail réalisé. Pour illustration, permettre des possibilités d’interactions variées et novatrices réduit le sentiment d’isolement et de démotivation des salariés. Les nouvelles idées et la conduite de projets sont ainsi stimulées.
Un suivi personnalisé par le supérieur hiérarchique permet de s’assurer que le rythme de travail et la nature des tâches correspondent aux attentes de chacun (Taskin et Tremblay).
La latitude décisionnelle, la confiance réciproque, la clarté des rôles, le soutien influencent positivement le bien-être au travail des collaborateurs (Arnlold). Les espaces de discussions virtuels sont des outils favorisant durablement le bien-être au travail et permettent à chacun de s’emparer du sens au travail. (Detchessahar, Abord de Chatillon et Desmarais). Le soutien social est présent, la reconnaissance est collective. Les outils, espaces de discussions virtuels permettent par ailleurs au manager de prendre conscience du « travail réel » de ses collaborateurs, des contraintes de ce travail et identifier des leviers pour ajuster les exigences de l’entreprise et les attentes de leurs subordonnés (réorganisation des tâches, délégation, clarification des process, des objectifs…).
Quatre comportements organisationnels et managériaux sont à privilégier afin que les collaborateurs perçoivent leur activité comme porteuse de sens : le soutien social, la participation aux décisions, l’effort d’empathie et de bienveillance, et l’exemplarité. (Dumas, Bachelard, Abord de Chatillon et Desmarais)
Ce qui construit le sens résulte de ce que l’individu considère recevoir de son entreprise à partir de ses propres perceptions (Morin et Gagné). Cela peut être par exemple l’utilité sociale du travail, l’autonomie, le développement professionnel, la droiture, la qualité des relations et la reconnaissance (Morin). Différentes actions opérationnelles participent à la construction de sens d’après une étude Canadienne de l’IRSST (Institut de Recherche Robert-Sauvé en Santé et en Sécurité du Travail – canadien)
Facteurs
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Actions opérationnelles
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Utilité sociale du travail
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Autonomie - créativité
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Exemplarité de l’entreprise
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Relations professionnelles enrichissantes et solidaires
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Reconnaissance du travail bien fait
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Un grand nombre de collaborateurs s’interrogent aujourd’hui sur l’utilité organisationnelle et sociale de leur activité professionnelle, sur le sens qu’ils donnent à leur travail. Les relations sociales réduites, l’autonomie des télétravailleurs accrue durant la crise sanitaire de la COVID 19 renforcent cette interrogation.
Le sens du travail apparait comme un facteur de performance et de protection contre les risques psycho-sociaux pour Arnoux-Nicolas. Favoriser le sens que les salariés trouvent dans leur travail peut constituer un moyen d’accroître leur motivation et leur satisfaction au travail (Hackman et Oldham). Plus un travail a du sens pour une personne, plus son engagement affectif envers l’organisation qui l’emploie sera fort, selon les résultats des travaux de Morin.
Rappelons-nous qu’un salarié qui s’adapte à une situation lui paraissant absurde, dépourvue de sens, aura un prix pour lui : ajustements des aspirations, modifications des valeurs de travail, augmentation de la valeur attribuée au salaire, désaffection à l’égard du travail, désaffection à l’égard de l’employeur, mésestime de soi (Kasl). Par ailleurs, « La cohérence que l’individu trouve dans son rapport au travail lui procure un sentiment de sécurité psychologique et de sérénité qui l’aidera à faire face aux épreuves que comporte inévitablement l’exercice même de ses fonctions. » (Morin)
*Les contenus de nos articles s’appuient sur des recherches en sciences de gestion (Sociologie du travail, Psychologie du Travail, Economie du travail, Ressources Humaines). Nous nous attachons à citer les auteurs des différentes publications et recherches.