Pourquoi replacer la relation humaine dans la culture d'entreprise ?

À quelles répercussions durables de la crise sanitaire sur le management des organisations devons-nous nous attendre ? Cette crise a été imprévisible. Elle bouleverse depuis bientôt deux ans nos habitudes et nos organisations. Les changements que cette crise a engendrés dans l’organisation des entreprises correspondent à des évolutions structurelles initiées depuis plusieurs années.

Parmi les changements marquants : les autorités politiques et les directions de nombreuses entreprises ont privilégié la solution du télétravail. S’agit-il là d’une rupture pour les entreprises ? Leur organisation et leur management s’avèrent depuis de nombreuses années impactés par la mondialisation. Ce qui efface les frontières physiques pour faire du monde le terrain de jeu des managers.

Ces derniers sont confrontés à la digitalisation qui permet aussi de repenser l’organisation des entreprises. L’évolution de la place du travail dans nos vies s’est faite en accélérant le temps et en s’affranchissant de l’espace.

Pourquoi le salarié est de plus en plus nomade

Dans cet univers professionnel en pleine mutation une nouvelle figure s’est imposée : celle du salarié nomade adepte du télétravail. En privilégiant ce mode d’organisation pour sortir de la crise sanitaire nous ne faisons qu’accélérer un processus déjà engagé.

En mars et avril 2020 une étude interne a été réalisée par le groupe canadien Colliers International. Sur un échantillon de 3 000 salariés originaires de 25 pays. 71 % des salariés n’ayant jamais télétravaillé et ayant adopté pendant la crise ce mode d’organisation se disaient séduits par ses avantages. Ils souhaitent poursuivre cette expérience au moins 1 jour par semaine une fois la crise terminée. Le Medef en France estime que le télétravail pourrait s’appliquer à 4 emplois sur 10. Cette forme de travail oblige à repenser les systèmes de management traditionnels. Le télétravail change les relations :

• La relation au temps : en réduisant ou en abolissant les frontières entre le temps passé au travail, en famille ou dans les loisirs
• La relation de l’espace : le lieu de travail se confond de plus en plus avec le lieu de vie
• La relation à l’autre : qui devient de plus en plus virtuelle

De nouvelles pratiques managériales doivent donc être inventées. L’accélération de cette mutation pose un réel problème aux entreprises. La généralisation du « salarié nomade » nécessite de repenser le système de management.

La relation salarié et manager remise en question

Les réorganisations liées à la Covid-19 n’ont pas épargné les premiers. Il a fallu revoir les plannings et les méthodes tout en cherchant à maintenir un niveau identique de productivité. Pour les salariés une fatigue supplémentaire, une rigueur accrue et une volonté de simplification des procédures qui resteront une fois la crise passée. Les interactions sociales ont été modifiées et n’ont pas radicalement évolué.

La situation des salariés dont le télétravail constitue une part importante de leur temps de travail se distingue du cas précédent. Cette organisation s’est traduite par un isolement spatial des individus se retrouvant coupés du groupe. Cet isolement s’est conjugué avec une hyper sollicitation. L’utilisation de moyens de communication digitaux impose l’instantanéité d’un flux continu d’informations urgentes.

« L’urgence est permanente […], c’est un flux continu d’informations que nous devons traiter seuls ».

Les relations sont devenues virtuelles engendrant une perte de repères. La relation salarié/manager s’en est trouvée remise en question. Comment gérer la prise d’autonomie permise et rendue nécessaire par le télétravail sans augmenter le sentiment d’isolement ? Comment articuler autonomie croissante et systèmes de motivation et de contrôle ? Ces difficultés génératrices de stress pour les managers et les salariés ont pu conduire à un renforcement des procédures de contrôle.

Les dimensions motivation, contrôle, confiance et interactions sociales sont donc remises en cause. C’est bien la culture même des organisations que la crise impose de repenser.

Mais dans quelle direction ?

L’anthropologue britannique Dave Cook nous alerte lui aussi sur les risques liés à cette généralisation du travail à distance. Il nous faut trouver de nouveaux modèles pour contrebalancer cette désintégration du temps et de l’espace que ces nouvelles pratiques d’organisation peuvent induire.

La philosophe Hannah Arendt a analysé la façon dont l’individu pouvait se construire dans la sphère professionnelle. Grâce aux interactions qu’elle permettait avec les autres. Nos collègues de travail devenant de plus en plus virtuels et nos relations se faisant chaque jour davantage via des écrans. Il nous faut trouver de nouveaux cadres pour bâtir une sphère sociale dans laquelle nous pourrons réellement exister. Une solution réside sans doute dans le développement des dimensions collectives des cultures organisationnelles des entreprises.

En s’appuyant sur la confiance des individus autonomes éprouvant le besoin de relations humaines riches, nous pourront remédier aux difficultés évoquées. Ceci suppose de placer l’individu au centre même de la réflexion des entreprises. En faisant des valeurs humanistes les points cardinaux de leur culture organisationnelle.